UNE
GOULEE DE SOUVENANCE
Le
45, rue
Chaume de la Cueille Poitiers (Vienne), la maison de mes grands parents
dans la
ruelle aux murs de pierres qui me semblaient immenses à
l’époque... Le chemin
empierré où j’apprenais cahin-caha à monter
sur le petit vélo vert... Les
routes dessinées entre les cailloux et les touffes d’herbe
pour jouer
indéfiniment avec les voitures miniatures... Les jeux avec mon
frère sur les
murs de la ruelle, dans les anfractuosités des pierres, soldats
de plomb,
cow-boys, indiens,... un western en réduction... La petite
voiture en bois
construite par mon père... La lecture des bandes
dessinées laissées par mon
oncle à la maison, « Zozo roi des
neiges », et surtout « Alerte
aux avions », le livre sur la défense passive
distribué pendant la
guerre...
Le
banc de
pierre, lieu de rencontre et de discussion le soir avec les voisins de
passage,
du crépuscule jusqu’au clair de la lune en bavardant de
tout et de rien, des
petits potins locaux... La treille qui gardait un peu d’ombre et
de fraîcheur
où ma grand mère tricotait et raccommodait, sous le
marronnier... Les toilettes
au fond de la cour, cabane bancale en planches disjointes...
L’odeur envoûtante
de la giroflée au printemps dans la cour... Le yucca trop
rarement en fleurs
planté par ma grand mère venue de Belgique, et les roses
trémières devant la
porte d’entrée...
Mon
grand
père midi et soir à l’écoute de ses stations
de radio pour avoir toutes les
informations, Radio Inter, Europe n°1, Luxembourg et
Geneviève Tabouis
chevrotant son éternel « attendez-vous à
savoir... », les péripéties
du procès de Marie Besnard, et les feuilletons radiophoniques
qu’on écoutait
l’oreille collé contre le haut-parleur du gros poste
affublé d’un oeil magique
vert, « l’Homme à la Voiture
Rouge », « Zappy Max et le
Tonneau », « Sur le Banc » avec Jeanne
Sourza et Raymond Souplex
...
La
cérémonie
du rasage le matin, auprès de la porte pour avoir la
lumière du jour, devant la
petite glace ronde, le blaireau, la mousse blanche et sa
fraîcheur, le rasoir
affûté sur le cuir tendu... Mon grand père partant
faire les courses en vélo,
ses cannes en travers sur le porte bagage, et le porte-monnaie rempli
des
« francs à de Gaulle » et de capsules de
Bartissol au cas où il
rencontrerait « l’Homme des Voeux »...
Les
délicieux
« gâteaux collés » de mon quatre
heures, au retour de l’école, un
sandwich de biscuits Alsacienne avec du beurre au milieu
préparés par ma grand
mère... L’odeur de la soupe à l’oseille
avalée dans la pénombre du soir
déclinant ou le jeu avec les petites lettres de l’alphabet
installées sur le
bord de l’assiette de soupe... Les assiettes à dessert
décorées aux chansons
françaises, « le son du cor » étant
ma favorite... L’éclairage
parcimonieux des ampoules électriques de faible puissance... Les
mouches
zigzaguant autour du tue-mouches en hélice pendu au plafond...
La terreur de
l’orage, blotti au fond de la pièce dans un coin sombre
sur les genoux de ma
grand mère encore plus peureuse que moi... L’agonie de ma
grand mère dans sa
chambre, dans ce grand lit, dans la pénombre, sa main
serrée sur la mienne pour
un dernier adieu...
La
remise,
capharnaüm où tous les outils et autres objets avaient leur
place attitrée,
même les « Chasseurs Français », les
« Humanité » et les
« Canard Enchaîné » empilés
depuis des années... L’odeur particulière
du lieu, mélange de différentes essences, moisi, vin,
bois, rouille et
poussière...La charrette aux bras levés qui attendait un
hypothétique cheval...
Les jeux sous la moustiquaire poussiéreuse rapportée
d’Indochine et les sacs de
pommes de terre qui servaient de cabane dans l’appentis où
sommeillaient
quelques barriques de piquette...
L’odeur
de
la terre mouillée dans le jardin en haut de la ruelle les soirs
d’arrosage et
les va-et-vient avec les arrosoirs
entre la maison sans eau courante et le point d’eau au pied du
transformateur
qui grésillait sa haute tension... La récolte des
framboises, le goût de la
fraise cueillie encore recouverte de la terre chaude du champ... La
chasse aux
doryphores et aux hannetons… La sensation
d’étouffement en entrant dans la
cabane à outils recouverte de tôles rouillées
chauffées au rouge par le
soleil...
Les escalades
et galopades dans le
Trait Tabouleau, cow-boy sous un chapeau de feutre rouge, un revolver
fabriqué
à partir d’un vieux stylo bille, d’une boite
d’allumettes et d’un peu de
scotch, montant et descendant sans relâche ses lacets
escarpés... La rencontre
effrayante avec la vieille clocharde barbue, créature
Fellinienne, qui pissait
debout, les jambes écartées au milieu du chemin... Ce
même Trait Tabouleau au
retour de l’école en hiver à la nuit tombée
avec ma mère en bas dessinant un
Picasso dans l’obscurité en agitant sa lampe torche, et la descente dans le noir enfin
rassuré...
Le bruit du
bic crissant sur la
feuille de papier remplissant le silence de la nuit pendant le sommeil
des
enfants sur fond de guerre d’Algérie, mon père
là-bas, nous ici... Dans le
froid de la chambre sans chauffage, les pieds sur la bouillotte, et les
yeux
grand ouverts sur le plafond regardant glisser les phares des voitures
sur la
nationale 10 dans le virage de l’avenue de Paris à travers
les fentes des
volets métalliques... Et ce stylo qui courait sur les pages de
la lettre
quotidienne racontant nos faits et gestes... L’attente des
lettres qui commençaient
invariablement par « chers tous »...
Les jeux dans
la cour cimentée, les
lectures de Tintin, du Club des Cinq et des livres de la collection
Rouge et
Or, ou le plaisir permanent de la
création avec le Meccano déployé pendant des
heures entre la pompe à eau et le
banc au thermomètre géant, le jeu des Mille Bornes le
soir en famille... Le
fracas épouvantable suivi de la descente
précipitée des escaliers abrupts du
grenier le jour où la foudre tomba sur le peuplier en face de la
maison...
L’inondation annuelle qui coupait la route et affleurait le
plancher de la
chambre, avec le gargouillis des bouteilles se remplissant d’eau
dans le
silence de la nuit, et les rats fuyant par l’escalier de la
cave...
Les promenades
au crépuscule des
soirées sans télévision le long du Clain, la Dinky
Toys ou la Norev roulant sur
le muret à hauteur d’enfant, promenades jusqu’au
Moulin à Parent dans la
fraîcheur du soir tombé, accompagnés par les cris
nocturnes des bêtes... Les
promenades dominicales en vélo, mon père et ma
mère avec chacun un enfant sur
le porte-bagages...
Didier
De Nayer
2 formats d'exposition:
Série de 25 coffrets avec
éclairage intérieur de format 34x21x10 ,
texte, présentation de l’installation suivant l’espace
ou
15 panneaux 40x50 de deux photomontages composés d'une photographie vintage collée sur une photographie récente carrée