RIENS
"D'abord il n'y a rien, puis il y a un rien plus profond" (Yves Klein)
Troubler la réalité par le flou et le mouvement comme le
choc d'une pierre trouble la surface de l'eau, la transfigurer, la
triturer, l'annihiler même, la fixer dans un ailleurs
indéfinissable... "Une saturation de signes magnifiques qui
baignent dans la lumière de leur absence d'explication" dirait
Manoël de Oliveira.
Les images sont venues d'abord par instinct, puis par plaisir avec les
surprises et les hasards qui font parfois si bien les choses que
l'effet est impossible à reproduire, les ratages sublimes, les
erreurs improbables,... les symboles magnifiques et les images
prémonitoires. Dans ces images, on exprime, on dévoile ce
que l'on porte en soi, avec une authentique émotion affective,
autobiographique, afin de manifester sa propre vision. La
création se façonne plus dans les marges, dans les
extrêmes, dans des circonstances exceptionnelles, que dans les
périodes paisibles. Le but: "rendre réels des
états mentaux intérieurs" disait Picabia.
Immobiliser
malgré le mouvement des formes indéfinies, utiliser et
déformer l'instantané pour fixer
l'éphémère, ne pas reconnaître au premier
abord le sujet, le dématérialiser, le défigurer,
puis abandonner la représentation des formes pures,
éliminer les références à la
réalité, supprimer la profondeur de champ pour un a-plat
visuel, et mettre l'espace et le temps sur une surface à deux
dimensions... Illisible, floue, netteté disparue hormis le grain
de la
pellicule, l'image elle-même ne montre que ce que le spectateur
veut ou peut y voir à condition de prendre son temps; une
façon d'arrêter les gens pour communiquer l'impossible et
rien à dire à ceux qui passent trop vite. La mise au
point se situe dans un au-delà, hors du point focal, dans un
autre monde décalé ou déconnecté de la
réalité. L'espace est indéfinissable, les trois
dimensions sont devenues deux, la profondeur de champ n'existe plus;
seule subsiste une grande tension qui se manifeste par
l'impossibilité de communiquer l'inexprimable face à
l'émotion du moment, une émotion à la prise de vue
restituée sur le tirage. Une image floue semble plus riche
d'interprétations qu'une
photographie "normale" car elle laisse la place à l'imagination
avec ses diverses possibilités de compréhension... La
découverte d’un autre regard, un regard neuf excite la
curiosité du public, le photographe ne triche pas en s'exposant
et, devant un travail intriguant, le spectateur cherche et se demande
ce que cela veut dire. Pousser le public à s'interroger,
à entrer dans l'image pour en comprendre le sens, et alors qu'il
veut savoir ce qui se passe dans la photographie, celle-ci lui
échappe et est incapable de lui répondre: les lignes, les
formes, les lumières, les traces parfois de présence
humaine lui fournissent une base pour imaginer le reste... ou pour se
perdre... dans une poursuite vers l'abstraction totale avec des objets
transfigurés, des traces de lumière, des ombres
manipulées, des formes en mouvement, des assemblages
hétéroclites et hasardeux,... un tas de petits riens qui
font une image... pour dériver dans les territoires de
l'étrange.
Didier De Nayer
Série de
photographies noir et blanc sur papier baryté de divers formats :
20 tirages 40x50, 50 tirages 30x40
2 photomontages de 4
images chacun en 60x80
tirages numériques: 5 de 150x105 cm, 5 de 60x90 cm montés sur aluminium
flous